Professeur François Viala : Pr. des universités, juriste, directeur du CEERDS - Centre Européen d’Etudes et de Recherche Droit&Santé
Le nom de Vincent Lambert est associé, depuis de nombreuses années, à la question de la fin de vie en France. Pensez-vous qu’enfin, nous allons pouvoir avancer sur cette question délicate ? On retrouve des arguments viables des deux côtés…
Assurément la médiatisation de certaines affaires démontre que la question est source de débats voire de conflits au sein de la société. L’affaire Lambert est aujourd’hui brandie en étendard par des « factions » opposées qui instrumentalisent la détresse. Les arguments de chacun tournent d’ailleurs paradoxalement autour d’un fondement commun : la dignité de la personne. Cette affaire est l’occasion aussi pour nous tous de nous interroger et de « nous mettre en règle » avec notre conception des choses. Aborder avec son entourage les questions posées par la fin de vie et la grande dépendance n’est pas aisé, mais être confronté à la situation d’un proche l’est encore moins. On ne peut que regretter le faible nombre d’entre nous, y compris chez les soignants, ayant désigné une personne de confiance et plus encore ayant rédigé des directives anticipées.
Nous avons aujourd’hui la possibilité d’anticiper l’expression de notre volonté et nous ne le faisons pas. Quant à la question récurrente de savoir si la loi doit être modifiée ma position est assez tranchée. Le texte de 2016 donne une grande latitude d’action au patient et aux soignants, avant d’envisager une nouvelle loi il convient, me semble-t-il, d’appliquer pleinement le texte existant, d’en évaluer la portée et la mise en œuvre et alors seulement d’en dresser un bilan objectif.
C’est notamment hors du cadre hospitalier que l’application des textes me semble devoir faire l’objet d’une attention soutenue. La loi de 2016 insiste sur le droit de finir sa vie à son domicile plutôt qu’à l’hôpital. Là un immense effort de formation des professionnels de santé libéraux me semble encore nécessaire, le même constat peut être dressé pour les EHPAD. Comment rompre l’isolement des praticiens libéraux et mettre en place une procédure collégiale hors du cadre hospitalier ? Des solutions existent mais sont peu connue et conduisent, souvent, à une regrettable « hospitalisation de la fin de vie ». S’informer et se former me semble un devoir des professionnels afin d’être en capacité d’anticiper les situations et d’éviter, autant que faire se peut, la rupture du dialogue avec l’entourage de la personne. Il me semble essentiel que les professionnels libéraux, médecins et infirmiers notamment, s’informent et se forment sur le contenu réel de la loi, sur les modalités de décision, sur l’accompagnement des patients et de leur entourage.
Les infirmières sont souvent confrontées à la détresse des familles. Quel doit-être, selon vous, leur rôle sur ce sujet ?
Dans le rapport Sicard, penser solidairement la fin de vie, le constat est dressé d’une médecine qui exclut la mort de ses considérations. Cette réalité conduit les infirmiers à se retrouver « en première ligne ». Le rôle des infirmiers et plus généralement de l’ensemble de l’équipe de soins est essentiel, à la fois dans l’accompagnement et le contrôle de la décision (celle du patient ou du médecin), mais encore dans l’accompagnement de l’entourage qui peine souvent à comprendre les enjeux et les logiques d’une décision.
La formation à « l’annonce » me semble primordiale et l’on ne peut que regretter les retards pris en France sur cette question.
Dans les affaires ayant conduit à une saisine des tribunaux, on peut noter qu’une perte de confiance, voire une défiance, vis-à-vis des soignants est souvent le fait déclencheur. La situation pour les soignants n’est pas facilitée par les textes nouveaux qui placent la famille en arrière plan. Les enseignements tirés de l’affaire Lambert, ont en effet, conduit le législateur à minimiser, en droit, la place de la famille dans la décision.
La pierre angulaire de la loi de 2016 est la volonté de la personne. Les directives anticipées ont aujourd’hui une valeur renforcée (elles s’imposent sauf exception au médecin). Même quand le patient n’est plus à même de s’exprimer, sa volonté, antérieurement émise, doit être recherchée. Pour ce faire, il faut solliciter la personne de confiance et à défaut famille et proches. Mais ces tiers ne sont pas sollicités pour donner leur avis, ils sont portes–parole, témoins de la volonté exprimée par le patient. L’objectif est louable et ambivalent. Il s’agit de première part d’éviter l’emprise d’une famille et d’un entourage et, de seconde part, d’éviter de placer ces proches dans la position pour le moins inconfortable d’avoir à décider du sort de l’être aimé.
Assurément la mise en œuvre du droit est délicate... Comment dire aux membres d’une famille que leur rôle est circonscrit à témoigner de la volonté autrefois exprimée par le patient ?
Estimez-vous les soins palliatifs, tels qu’actuellement définis, suffisants pour répondre à la demande des patients et de leurs familles ?
Une fois encore la question démontre que l’on ne règle pas les problèmes d’une société par l’érection de règle de droit. Les textes en la matière me semblent suffisant, mais sur le terrain le constat peut être dressé de l’existence, sinon de discrimination, du moins de profondes inégalités sur le territoire. Rappelons que le Sénat a résisté lors des travaux parlementaires aboutissant à la loi de 2016 pour que soit inscrit expressément dans la loi que le droit de recevoir les traitements, les soins les plus appropriés (palliatifs notamment), le soulagement de la souffrance, s’exercent sur « sur l’ensemble du territoire » !
La réponse ne peut donc venir du droit mais d’une volonté commune et politique de ne plus envisager les soins palliatifs comme synonymes de « Plan B » mais bien comme un droit des patients et, donc, un devoir des soignants et des autorités de santé au-delà des beaux discours ! Les soins palliatifs ne sont pas la fin, ils sont une fin, une finalité à part entière. C’est une rupture culturelle qu’il faut peut être mener aussi, pour expliquer et convaincre que le dogme du tout curatif, tout thérapeutique, le mythe de la guérison à tout prix a aujourd’hui atteint ses limites. Peut on redécouvrir le sens du mot thérapeutique ? θ ε ρ α π ε υ τ ι κ η ́ signifie « l’art de prendre soin » et θ ε ρ α π ε υ τ ι κ ο ́ ς s’applique à celui « qui prend soin de », et concerne « le soin qu’on prend de quelqu’un ou de quelque chose ».
Vincent Lambert était infirmier et demande lui-même à en finir. Cela soulève une autre question : peut-on vraiment, selon vous, faire valoir ses propres volontés ?
La question est débattue et mérite que l’on remarque que personne n’est vraiment légitime à prendre la décision. Le soignant a une légitimité ancrée dans son savoir et ses compétences. Mais s’il est concerné par la décision, il n’est pas impliqué, ce n’est pas sur sa personne et sur son corps que la décision s’applique. Il est donc sur ce point illégitime. Le patient, lui, est ignorant assurément donc illégitime quant au savoir, mais il est directement impliqué dans son corps et sa personne. Entre ces deux « illégitimités » à décider, la moindre me semble conduire à donner plus de valeur à la volonté du patient impliqué plutôt qu’au soignant concerné. Assurément, ma volonté émise dans la « bien portance » sera biaisée, mais c’est ma volonté qui s’est exprimée et sur laquelle je peux revenir. Elle me semble plus légitime que tout autre. Méditons ces propos de Gandhi : « Ce que vous faites pour, sans moi, vous le faites contre moi ».
On pense souvent à la souffrance ou à la douleur des « victimes », mais les familles semblent souffrir d’une façon encore plus insidieuse... Doit-on selon vous, leur laisser plus de droits, ou au contraire, limiter leur intervention dans l’issue finale à accorder ? Le choix, je l’ai dit, a été fait dans la loi de 2016 : celui de mettre la volonté de la personne au cœur de la décision et de faire de la famille et des proches des témoins. Le rôle de la famille recule, au profit notamment de la personne et de la confiance.
Pourquoi ?
Confier aux parents, aux enfants, au conjoint, le rôle de de décider est particulièrement lourd et ne doit pas devenir le « Cheval de Troie » de soignants bien soulagés de n’avoir pas à décider. Comment décider de la mort d’un enfant, d’un conjoint, d’une mère ! A l’inverse, on ne peut tenir la famille à l’écart, le choix d’en faire les témoins de la volonté antérieurement émise par la personne permet de maintenir le lien, de ne pas exclure, tout en évitant la souffrance d’un « surinvestissement » et d’une décision trop lourde à porter. Mais ce louable objectif est mal assimilé et a conduit à considérer que le paternalisme était de retour.
Quid de la valeur accordée aux remarques du personnel soignant, parmi lesquels les IDE libérales ?
Dans la décision d’arrêt des traitements, deux situations :
Décision est en principe, selon le droit, prise par le patient, c’est seulement lorsqu’il ne peut plus exprimer sa volonté et à défaut de directives anticipées que la décision est prise par le médecin. Mais dans tous les cas, décision du patient ou de médecin, cette décision est encadrées et accompagnée par une Procédure Collégiale renforcée et précisée depuis la loi de 2016.
Deux étapes se succèdent :
1/ concertation avec membres présents de l’équipe de soin
2/ consultation d’au moins un médecin.
L’équipe de soin, et non une équipe de professionnels de santé, n’est pas seulement l’équipe hospitalière. Dans le monde libéral cette équipe existe informellement. Elle est constituée par tous ceux qui se dévouent aux soins d’un patient. Les infirmiers sont donc appelés à se positionner en leur qualité de membre de l’équipe de soin. La concertation avec l’équipe de soin est essentielle, les textes précisent que l’équipe vérifient que les conditions légales pour un arrêt des traitement associé à une sédation et une analgésie sont remplies. Chaque membre de l’équipe doit donc connaître et maitriser les textes … !
Dernière question : soins palliatifs, don d’organes, éthiques… Pensez-vous que les Français, aujourd’hui, sont assez informés ?
Des campagnes d’information se multiplient et pourtant le même constat est dressé d’une insuffisante connaissance du cadre légal. On le voit sur le terrain avec les approximations nombreuses et la traçabilité très aléatoire des décisions prises. Pourtant, il faut croire en la pédagogie, le problème vient du fait que dans une société actuelle l’immédiateté est la règle, on ne se donne plus le temps. A peine l’encre de la loi est elle sèche que l’on voit fleurir des demandes d’évolution de la règle.